Rama Thiaw : l’extrémisme violent prend sa source «dans les années 80-90 avec les ajustements structurels »
L’extrémisme violent, en pleine expansion en Afrique subsaharienne, prend sa source « dans les années 80-90 avec les ajustements structurels » qui ont consacré l’absence d’investissements dans divers secteurs dont l’éducation, créant ainsi « des cerveaux vides dans un environnement d’extrême pauvreté », analyse la réalisatrice sénégalaise Rama Thiaw, dans une interview accordée à la Commission web du festival Ciné Droit Libre (CDL).
Quelles sont vos impressions sur la 12e édition du festival Ciné Droit Libre cinq jours après son ouverture ?
Je suis très contente que les promoteurs aient programmé cette édition en décembre en mémoire au journaliste Norbert Zongo. (Ndlr : Norbert Zongo, journaliste émérite, a été tué le 13 décembre 1998 sous le pouvoir de Blaise Compaoré alors qu’il enquêtait sur le meurtre de David Ouédraogo, chauffeur de François Compaoré, frère cadet et
conseiller spécial du président déchu).
Cela est important pour l’histoire du Burkina Faso. Vu que le pays vit une nouvelle ère aujourd’hui, il faut réparer ce qui a été mal fait dans la période de dictature. Donc il faut que les coupables soient jugés. Il s’agit de la nécessité de faire un devoir de mémoire afin que nos enfants et nos petits enfants connaissent leur histoire.
Mais pour les prochaines éditions, je souhaite qu’il y ait plus de femmes au festival. Surtout quand on parle de cinéma engagé, cet engagement doit se refléter dans les invités car aujourd’hui, les femmes cinéastes sur le continent galèrent plus que les hommes. Elles sont sous représentées. Du coup, je pense que cet engagement passe par une même représentativité des hommes et des femmes.
Que vous inspire le thème « Droit de vivre : luttons contre l’extrémisme violent » de la présente édition ?
L’extrémisme violent est un problème d’éducation. Dans les années 80-90, avec les ajustements structurels libéraux et capitalistes, on a enlevé du budget de l’Etat l’Education, la Culture, la Santé et ses secteurs en ont pâti. Quand on enlève le budget de l’Education, on crée des cerveaux vides dans un environnement d’extrême pauvreté car on ne donne pas les moyens aux jeunes de vivre dignement. Donc finalement, ils se retournent vers un « dieu » sans même connaître Dieu, la religion.
Ils deviennent des proies faciles pour des gens qui ont des envies de pouvoir car finalement les terroristes ne croient ni en Dieu, ni en rien du tout. Ils croient en eux-mêmes, leurs pouvoirs. Ils croient en l’argent. Mais ces jeunes-là, s’ils n’ont pas eu l’éducation nécessaire pour s’en rendre compte et bien, ils deviennent des proies.
Quelles solutions préconisez-vous en vue de contrer l’extrémisme violent ?
Aujourd’hui, le véritable problème, sur lequel nous devons lutter, il est double : la pauvreté. Il faut d’abord réinvestir dans l’éducation et la Culture. Comme ça on peut avoir des esprits libres, indépendants, autonomes, qui réfléchissent par eux-mêmes et qui se construisent leur propre manière de pensée. Pas des jeunes qui reçoivent de par la télé, internet et de par ces gens-là qui leur promettent « la voie de la liberté », la vérité absolue.
La vérité absolue, ça n’existe pas. Au lieu de construire des églises et des mosquées, reconstruisons des écoles, des hôpitaux et redonnons du travail. En construisant des écoles, des salles de cinéma, des salles de théâtre, on donne du travail aux jeunes, on leur donne les moyens de vivre dignement. En plus, on nourrit leurs esprits.
H.Z