Jean Ziegler : « Le festival Ciné Droit Libre incarne l’héritage de Thomas Sankara »
Ceci est une lettre de Jean Ziegler, parrain de la 12e édition de Ciné Droit Libre, adressée au coordonnateur du festival.
Ce que je craignais est arrivé : je dois être à New York à la fin de la semaine. Veuillez m’excuser de mon absence auprès des organisateurs et du public du Festival.
L’Assemblée générale de l‘ONU est en session. En tant que vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, je dois répondre présent si un Etat-membre l’exige. C’est un cas de force majeure et je le regrette infiniment. Vous verrez dans le film « Jean Ziegler. L’optimisme de la volonté » combien sont immuables les contraintes bureaucratiques des Nations unies.
Avec Fidel Castro et Nelson Mandela, Thomas Sankara a été l’un des rares grands hommes d’État de la 2e moitié du XXe siècle. Il m’a personnellement profondément marqué. Jamais je n’oublierai ni nos discussions passionnantes ni son hospitalité, sa chaleur amicale et la lucidité de ses analyses. Je lui dois des enseignements essentiels pour mon propre combat politique. Ma gratitude et mon admiration à son égard sont sans limites.
Blaise Campaoré m’a, de façon répétée, dépêché des émissaires à Genève, m’invitant avec insistance à revenir au Burkina Faso. J’ai toujours refusé. Campaoré est responsable de l’assassinat de Sankara.
Le Festival Ciné Droit Libre incarne l’héritage de Thomas Sankara : son désir d’universalité, son rayonnement continental. Le 4 octobre 1984, à la tribune de la 39e session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, il exprimait magnifiquement ce désir d’universalité : « Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions, de toutes les luttes de libération des peuples du Tiers monde… Notre révolution du Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’humanité ».
Le Festival Ciné Droit Libre rayonne sur tout le continent africain. C’est pour moi un grand honneur d’en être le parrain. Je vous en suis reconnaissant. Je serai, hélas, un parrain physiquement absent, mais proche de vous en esprit, en sympathie, en solidarité.
Une génération sépare la libération de 2015 du martyre de Thomas Sankara. Mais – oh miracle – l’extraordinaire peuple burkinabé a réussi pendant toutes ces sombres années à maintenir en vie la flamme et l’espérance de cet homme extraordinaire.
Dans vos combats actuels – et votre superbe festival y joue un rôle déterminant –, l’esprit de Thomas est présent. Il nourrit votre lutte pour le rétablissement de la démocratie et de l’État de droit.
C’est avec un très grand plaisir que je reviendrai au Burkina l’an prochain. Si sa famille me donne son accord, je publierai les lettres si pleines de vie, ironiques, amicales, passionnantes que Thomas m’a adressées durant trois ans. Leur publication pourrait être le prétexte de ma visite.
Thomas Sankara nous a appris la patience révolutionnaire, la détermination dans le combat.
Nicolaï Boukharine écrit : « Les révolutionnaires morts sont comme ces étoiles éteintes. Longtemps après leur disparition, leur lumière nous parvient encore et nous illumine ».
Le 21 décembre prochain, Thomas Sankara aurait eu 67 ans. Ma rencontre avec lui a changé ma vie. Je ne l’oublierai jamais.
Je vous serais reconnaissant de donner connaissance de la présente lettre au public du Festival.
Croyez, Monsieur le Directeur, cher ami, à ma fraternelle et respectueuse affection.
Genève, le 14 décembre 2016
Jean Ziegler