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- Affaire Norbert Zongo : François Compaoré compte « perdre du temps en espérant un changement politique en 2020 » (Bitiou Nama)
La justice française a récemment accordé son « avis favorable » pour l’extradition de François Compaoré, frère cadet de l’ex-président burkinabè, cité dans l’affaire de l’assassinat du journaliste emblématique Norbert Zongo. A cette décision de justice, les avocats du « suspect » ont intenté un recours en cassation en vue de faire annuler l’avis. Pour Germain Bitiou Nama, ex-compagnon du journaliste, il s’agit d’une manœuvre « dilatoire » pour « perdre du temps espérant un changement politique en 2020 », dans cette interview en marge du festival Ciné Droit Libre.
On sait que vous étiez très proche du journaliste Norbert Zongo. Dites-nous comment a commencé votre amitié.
J’ai connu Norbert Zongo à travers un certain nombre d’écrits qu’il faisait passer d’abord dans le quotidien d’État Sidwaya, ensuite le Journal du Jeudi (JJ). A Sidwaya il a été victime d’un ostracisme d’État. Mais c’est lorsqu’il était à Sidwaya que je l’ai connu.
Sinon les premiers contacts que j’ai eus avec Norbert Zongo, c’est par l’intermédiaire de mon épouse qui a fait le Cours Normal de Koudougou avec lui. Donc chaque fois que je passais à Sidwaya, on se voyait et finalement on s’est liés d’amitié. On ne s’est plus quittés jusqu’à ce qu’il soit assassiné. On s’est côtoyés au fur et à mesure de son parcours professionnel. Il travaillait notamment à JJ en même temps qu’il était à Sidwaya.
Ensuite il a dû quitter carrément le quotidien d’État lorsqu’on l’a affecté à Banfora. Il avait alors refusé cette affectation en rendant sa démission de la Fonction publique. Après il a créé avec Saturnin Ky, le journal « La clé ». C’est en 1993 qu’il crée son propre canard : L’indépendant. Et notre relation a continué. Connaissant un peu les conditions dans lesquelles il travaillait, je me suis dit que je pouvais lui apporter une contribution. A l’époque moi j’étais professeur de philosophie et le journalisme était pour moi une passion même si je n’étais un professionnel du métier. Donc j’écrivais des articles que je lui remettais. J’animais également une page philosophique au niveau du journal « L’indépendant ». Donc voilà un peu comment s’est tissée la relation entre lui et moi.
Qu’est-ce qui était le point commun entre lui et vous ?
Son choix de vie correspondait au mien. C’était un homme extrêmement sérieux qui pensait à son pays avant lui-même. Moi ayant été formé dans les mouvements estudiantins anti-impérialistes en France, ça m’a naturellement porté vers lui. Et notre amitié a été très utile. On discutait des problèmes du pays : ce qui donnait lieu à ses articles. J’étais membre du Mouvement burkinabè des Droits de l’Homme (MBDHP) et dans mon combat sur le front de la société civile, je lui apportais des éléments qui nourrissait son journal. Et out cela nous a vraiment rapproché.
Racontez-nous une anecdote que vous avez vécu avec Norbert Zongo …
Norbert était un grand chasseur qui avait de grandes ambitions pour la protection de la nature. Sa passion de la chasse dépassait le cadre de prendre un fusil et abattre les animaux. L’animal est inséparable de la nature. Donc son amour pour la chasse doit être intégrée dans son amour pour la nature. Quand nous sortions de Ouagadougou, c’était généralement pour aller à Boussé à environ 53 Km. On parcourait les champs en voiture et je conduisais. Assis à côtés, il me dictait les directions à suivre. Et quand il apercevait un oiseau, il l’abattait depuis le véhicule. Et ce qui est impressionnant, il n’a jamais raté sa cible.
Il était plaisant et étant en sa compagnie, on n’arrêtait pas de rire. Il avait le sens de l’humour. Et quand vous parcourez ses écrits, vous verrez qu’on y trouve de petites anecdotes tirées du terroir. Et cela enrichissait ses écrits et marquait une nette différence avec ses confrères qui avaient fréquenté une école classique. Il tirait donc son inspiration du terroir. C’était une de ses particularités. Il avait un style satirique car il avait le sens de l’humour. Quand vous revisitez ses écrits, il arrive que vous lisez du rire aux larmes. En même temps que vous vous enrichissez de la profondeur de l’article, il vous fait rire. Il était attachant au point que les politiques notamment ceux de l’opposition, partaient prendre le thé et le café chez lui juste pour échanger. C’était à une période où l’opposition était dans une mauvaise posture. Les élections ne lui réussissaient pas à cause du verrouillage de l’ex-président Blaise Compaoré.
Vingt après l’assassinat de Norbert Zongo, quelle appréciation faites-vous de l’évolution du dossier devant la justice ?
Je pense que le dossier évolue favorablement. Nous avons suivi toutes les péripéties du dossier depuis le début. A l’époque, nous avons bataillé dur pour que sa mort soit reconnue comme un assassinat. En effet, le pouvoir en place avait tenté de faire passer son meurtre pour un banal accident ou un règlement de comptes. Nous avons eu raison car la commission d’enquête qui a été mise en place a montré que ce n’était pas un banal accident de la circulation.
En 2006, il y a eu le non-lieu devant la justice burkinabè mais les manœuvres qui ont conduit au non-lieu ne nous ont pas échappé car nous rencontrions les acteurs du dossier et nous connaissons leurs difficultés. Nous connaissons les chantages dont ils ont été l’objet. Tout le monde n’est pas héros. Tout le monde ne résiste pas à toutes les tentations. Donc nous avions espoir que le dossier allait être rouvert : ce qui est arrivé sous la transition de 2015.
Je note que c’est aussi cette affaire Norbert Zongo qui explique en partie, l’insurrection populaire d’octobre 2014. Parce que depuis la mort de Norbert Zongo, le régime de Blaise Compaoré n’a jamais eu la paix. Tous les ans, la pression populaire grimpait jusqu’à l’avènement du soulèvement populaire. Cela a permis la réouverture du dossier. Il y a eu par la suite l’interpellation de François Compaoré (frère cadet de Blaise Compaoré, cité dans l’affaire) à l’aéroport de Paris. La justice française a à présent émis un avis favorable à son extradition. Et pour nous, c’est une victoire d’étape.
A l’issue de cet avis favorable d’extradition, les avocats de François Compaoré ont intenté un recours pour contester la décision…
A mon avis ce recours, c’est pour perdre du temps. Je dirais même que c’est du dilatoire. En effet, c’est l’Etat burkinabè qui a lancé cette demande d’extradition. Et l’autorité politique française ne peut pas rendre sa décision sans l’avis de la justice. L’arrêt porte la mention « avis favorable ». Le président Emmanuel Macron avait déjà promis à Ouagadougou en se montrant favorable à son extradition.
Et le pourvoir en cassation de ses avocats, à mon avis c’est du dilatoire. Ça ne peut pas aller loin. Mais François Compaoré joue avec le temps en espérant que la situation politique va changer. Il a même dit que le dossier va traîner jusqu’en 2020 jusqu’aux élections au Burkina Faso. Mais nous avons foi car ce n’est pas un dossier politique mais un dossier criminel.
Mais pour vous qui avez cheminé avec Norbert Zongo, d’où est-ce qu’il tire son engagement pour une société juste et équitable ?
Il est difficile de déterminer les conditions subjectives et objectives qui emmènent l’homme à être ce qu’il est. Mais ce que je peux dire, Norbert est issu d’un milieu très modeste. Son père était cultivateur et sa mère ménagère. Il a été sans doute élevé à la rigueur villageoise et je crois qu’il en a retenu les bonnes leçons. Pour aller à l’école et avoir un cursus normal, ce n’était pas évident. C’est ce qui explique ce qu’on peut qualifier comme son retard scolaire. On a le même âge et moi j’ai avancé très vite à l’école.
Lui, il a fait d’abord le Cours Normal pour devenir instituteur. Et c’est par la suite qu’il s’est auto-formé pour passer et obtenir son baccalauréat en 1975 alors que moi je décrochais ma maîtrise à l’Université. Et pour de tels défis, il faut avoir une force de caractère. Et Norbert avait une force de caractère.
Pour la 14e édition du festival Ciné Droit Libre, le thème choisi est « Justice, levez-vous ! ». Quelle connotation cela revêt pour vous dans le contexte actuel du Burkina Faso ?
Je vois qu’il s’agit d’un thème qui colle aux réalités actuelles. L’année 2018 est le 20e anniversaire de la mort de Norbert Zongo et pour moi, c’est une manière de marquer cet anniversaire en choisissant un tel thème qui campe avec la situation judiciaire du dossier.
Selon vous, quelle solution pour une justice sociale équitable et accessible à tous les Burkinabè sans distinction ?
Je crois qu’on y prend du chemin. Les juges burkinabè se sont battus pour leur indépendance. Ils ont pour cela reçu l’appui de l’ensemble de la société civile et du peuple entier qui en a marre de cette justice qu’il ne comprend pas. Lors des états généraux de la justice sous la transition, des textes ont été adoptés pour consacrer l’indépendance de la justice. Mais l’indépendance ce n’est pas seulement des textes. C’est surtout un état d’esprit. Sous Blaise Compaoré, les juges ont été moulés dans le larbinisme au point que l’on parle de juges acquis. Ils ont peut-être besoin de temps pour s’en défaire. Mais on a besoin de la pression de la société pour faire évoluer les choses.
Vingt ans après Norbert Zongo, quelle appréciation faites-vous du niveau de la presse burkinabè ?
A mon sens, la presse burkinabè a évolué positivement. Le contenu en général s’est nettement amélioré. Les journalistes ont le souci d’approfondir leurs recherches en se pliant aux exigences professionnelles du métier. Et cela est un héritage de Norbert Zongo. Norbert était seul à l’époque dans l’investigation. Mais aujourd’hui, il existe plusieurs journaux qui font de l’investigation et sont solidaires les uns envers les autres. Le droit existe mais il traduit un rapport de force. D’où la nécessité pour la presse de s’unir afin de ne pas être perdante dans ce rapport de force.
Que pensez-vous de l’autocensure dans le milieu de la presse ?
L’autocensure est naturelle et normale. De la même manière que vous ne pouvez agir n’importe comment, pareillement, vous ne pouvez pas écrire n’importe comment. Le plus important à mon sens, c’est prioriser l’intérêt public. Dans le travail journalistique, il faut toujours poursuivre l’intérêt public.
Et beaucoup de jeunes journalistes, ont ce sentiment et le courage journalistique qui va avec. Peut-être qu’ils n’ont pas la notoriété de Norbert Zongo, donc on ne le sent pas. Norbert Zongo est le fruit d’une évolution, d’un processus de maturation et de prise de conscience. Donc je pense que nos jeunes sont sur la bonne voie et ils en sont capables.
Hassimi Zouré