Mauritanie. Un blogueur toujours détenu un an après un jugement annulant sa condamnation à mort

Ceci est un communiqué conjoint de 32 organisations de défense des droits humains sur la situation de Mohamed Mkhaïtir. Ce blogueur mauritanien a été arrêté le 2 janvier 2014 parce qu’il avait publié, en décembre 2013, un billet de blog sur l’esclavage et la discrimination, notamment à l’égard de la caste des forgerons, dont il fait partie. Il est toujours détenu, un an après un jugement annulant sa condamnation à mort. Alors que sa santé physique et mentale se dégrade du fait de sa détention prolongée, les signataires de la présente déclaration font campagne pour sa libération et sa protection
Il faut que les autorités mauritaniennes libèrent rapidement et dans les meilleures conditions de sécurité un blogueur qui est toujours détenu alors qu’une cour d’appel a ordonné il y a un an de commuer sa peine de mort, ont déclaré Amnesty International, Human Rights Watch, Freedom Now, le Forum des organisations nationales des droits de l’homme en Mauritanie et 28 autres groupes de défense des droits humains le 8 novembre 2018.

Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir (35 ans) est toujours détenu dans un
lieu secret, où il n’a que des contacts très limités avec sa famille et
ne peut consulter ses avocats, car les autorités n’ont pas appliqué la
décision de libération rendue par une cour d’appel le 9 novembre 2017.
« En maintenant Mohamed Mkhaïtir en détention, les autorités
mauritaniennes font preuve d’un profond mépris à l’égard de l’état de
droit. Cet homme est un prisonnier d’opinion dont la vie est entre les
mains des autorités simplement parce qu’il a exercé, pourtant de manière
pacifique, son droit à la liberté d’expression, a déclaré Kiné Fatim
Diop, chargée de campagne pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty
International.
« Tenir un blog n’est pas une infraction et, conformément à la décision
de la justice mauritanienne, cet homme doit être libéré immédiatement et
sans condition. En outre, il faut que les autorités étudient tous les
moyens possibles d’assurer sa sécurité. »
Mohamed Mkhaïtir a été arrêté le 2 janvier 2014 parce qu’il avait
publié, en décembre 2013, un billet de blog sur l’esclavage et la
discrimination, notamment à l’égard de la caste des forgerons, dont il
fait partie.
Après cette publication, des manifestations de grande ampleur dont les
participants réclamaient son exécution pour « blasphème » – notamment
une qui a bénéficié de la bienveillance du président de la République –
ont eu lieu dans tout le pays.
Inculpé d’apostasie
Mohamed Mkhaïtir s’est ‘’repenti’’ à plusieurs reprises, pendant son
interrogatoire par la police et dans une déclaration écrite datée du 11
janvier 2014. Son procès s’est ouvert le 23 décembre 2015. Inculpé
d’apostasie et d’outrage au prophète Mahomet, Mohamed Mkhaïtir a été
condamné à mort le lendemain.
Le 9 novembre 2017, une cour d’appel a ramené sa peine à deux ans
d’emprisonnement, qu’il avait déjà purgés, et lui a infligé une amende.
En mars 2018, le ministre de la Justice, Mokhtar Malal Dia, a déclaré
dans une interview que le blogueur était « toujours détenu quelque-part
en Mauritanie ».
En mai les autorités mauritaniennes ont informé le Comité pour
l’élimination de la discrimination raciale (CERD) que cet homme était
« en détention administrative pour sa propre sécurité ».
Pendant près d’un an, les avocats de Mohamed Mkhaïtir n’ont cessé de
demander à lui rendre visite mais le ministre de la Justice ne leur a
pas répondu. Mohamed Mkhaïtir serait en mauvaise santé et aurait besoin
de soins médicaux urgents.
« Au lieu de respecter la décision de justice, les autorités refusent de
révéler où se trouve Mohamed Mkhaïtir et le privent de contacts avec le
monde extérieur, a déclaré Fatimata Mbaye, défenseure des droits
humains et avocate locale du blogueur.
« Cela s’apparente à une détention au secret, qui est une grave
violation des droits humains. Il faut que les autorités mettent fin à
cette détention arbitraire, libèrent Mohamed Mkhaïtir et assurent sa
sécurité. »
Les Nations unies ont critiqué à plusieurs occasions la détention et la
condamnation à mort de Mohamed Mkhaïtir. En juin 2017, le Groupe de
travail des Nations unies sur la détention arbitraire a conclu que le
procès du blogueur avait été inique, que sa détention était arbitraire
et que la Mauritanie bafouait le droit international.
En mai 2018, six experts des Nations unies spécialisés dans les droits
humains se sont déclarés profondément préoccupés par la détention
prolongée de Mohamed Mkhaïtir.
« Ce cas est emblématique de la répression à laquelle le régime
mauritanien soumet les libertés d’expression et d’information, en
particulier celles des défenseur·e·s des droits humains qui font
campagne contre les discriminations et des journalistes qui dénoncent le
recours illégal au travail servile, a déclaré Kate Barth, directrice
juridique de Freedom Now.
« Il faut que la Mauritanie libère immédiatement et sans condition
Mohamed Mkhaïtir et cesse d’emprisonner des personnes qui n’ont fait
qu’exprimer pacifiquement leurs opinions. »
COMPLÉMENT D’INFORMATION
En avril 2018, l’Assemblée nationale a adopté un texte qui remplace
l’article 306 du Code pénal et rend la peine de mort obligatoire en cas
de « propos blasphématoires » et d’« actes sacrilèges ».
La nouvelle loi supprime ainsi la possibilité, prévue par l’article 306,
de remplacer la peine capitale par une peine d’emprisonnement pour
certaines infractions liées à l’apostasie lorsque l’auteur se repent
immédiatement. En outre, elle étend le champ d’application de la peine
de mort aux « actes de rébellion ». Le fait que la loi soit entrée en
vigueur quelques mois seulement après qu’une cour d’appel a ordonné la
libération de Mohamed Mkhaïtir semble avoir un lien avec cette affaire.
La Mauritanie a ratifié de nombreux traités internationaux concernant
les droits humains, y compris le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP), la Convention contre la torture et la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui protègent le
droit à la vie.
La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.
Le Comité des droits de l’homme examinera l’application du PIDCP par la Mauritanie en 2019.
SIGNATAIRES
Action des Chrétiens pour l’abolition de la Torture (France) ;
Africtivistes ; Amnesty International ; Anti-Slavery International ;
Association des Blogueurs pour une Citoyenneté Active (ABCA)- Niger ;
Association des Femmes Chefs de Famille (Mauritania) ; Association
Mauritanienne des Droits de l’Homme (Mauritania) ; Association
Villageois 2.0 (Guinea) ; Committee to Protect Journalists (CPJ) ;
Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des Droits Humains
en Mauritanie (CSVVDH) ; Ensemble Contre la Peine de Mort ; FIDH
(International Federation for Human Rights) within the framework of the
Observatory for the Protection of Human Rights Defenders ; Fondation
Sahel (Mauritania) ; Forum des Organisations Nationales des Droits de
l’Homme en Mauritanie (FONAD) ; Freedom Now ; Freedom United ;
GERDDES-Mauritania ; Human Rights Watch ; International Publishers
Association ; International Humanist and Ethical Union (IHEU) ;
Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste
(IRA-Mauritania) ; Minority Rights Group International ; PEN America ;
Réseau des bloggeurs du Burkina ; Pour une Mauritanie verte et
démocratique ; Réseau des blogueurs du Sénégal #NdadjeTweetup ;
Reporters without borders ; SOS Esclaves- Mauritania ; The Raoul
Wallenberg Centre for Human Rights ; Touche pas à ma Nationalité
(Mauritanie) ; Unrepresented Nations and Peoples Organization ; World
Organisation Against Torture (OMCT) within the framework of the
Observatory for the Protection of Human Rights Defenders