Jean-Pierre Rehm : « Il faut refuser la prise en otage des corps mais aussi des têtes et des esprits »
La 12e édition du festival Ciné droit libre(CDL) qui a ouvert ses portes le 10 décembre 2016 à Ouagadougou se poursuit et ce jusqu’au 17 du mois. Plus de 30 films sont à l’affiche. Prévu pour la projection spéciale à l’Institut Français, le film ‘’Sarah Winchester, l’opéra fantôme’’ ne sera malheureusement pas diffusé pour un problème technique. Néanmoins, la rencontre des jeunes professionnels du cinéma avec Jean-Pierre Rehm a eu lieu. Jean-Pierre Rehm est le directeur général du festival de cinéma de Marseille. Il occupe ce poste de directeur depuis 14 ans. Il a échangé à bâton rompu avec les jeunes du 7e art ce 12 décembre 2016. C’est sans langue de bois qu’il a accordé une interview à l’équipe web du festival. Interview exclusive.
Quelles sont vos impressions sur la 12e édition du festival CDL ?
J’ai l’impression que le festival Ciné Droit Libre (CDL) bénéficie d’une forte dynamique. De ce que j’ai entendu et pu voir il y a un accueil très clair du public. Je pense que ça correspond à une pertinence de ce que vit le Burkina Faso depuis quelques années, particulièrement depuis la révolution. C’est un festival qui est sans doute en phase aux yeux du public mais aussi de ce qui est proposé avec les réalités que vivent les burkinabè. C’est toujours très important lorsqu’une manifestation à priori culturelle réussi à devenir une nécessité organique et politique dans un temps et dans un pays.
« Droit de vivre : luttons contre l’extrémisme violent », tel est le thème de la 12e édition du festival. Que vous inspire ce thème ?
Je crois que des films sont comme des êtres vivants. Ils peuvent être réunis parce qu’il y a des urgences et je crois qu’il y a des urgences en ce moment, pas seulement dans cette région du monde mais bien au-delà comme en France. Comme vous le savez, la France a été également frappée par les horreurs. Le cinéma n’est pas qu’un outil ; c’est un moyen… un film est un être vivant qui doit respirer de façon autonome. C’est la meilleure manière de parler du monde et de s’unir avec d’autres films.
Selon vous, qu’est-ce qui justifie cet extrémisme violent en Afrique subsaharienne ?
Je pense qu’il y a des gens qui ont peur de tout, qui croit que la peur est la seule façon d’être en rapport avec les autres dans le monde auquel ils vivent et veulent infliger cette peur. Lorsqu’on a peur on ne parle pas. On est pétrifié, paralysé. En tant que directeur d’un festival je pense qu’un film est un moyen de lutte contre la paralysie qu’il faut refuser de toutes ses forces avec toute sa dignité. Il faut refuser la prise en otage des corps mais aussi des têtes, des esprits et des angoisses. C’est très difficile mais c’est très important de refuser de céder au langage de la peur.
Quelles solutions ?
Je crois que le problème est complexe. Il n’y a pas une solution sinon on l’aurait trouvé. Je crois qu’on vit dans un moment où les gens sont à la recherche de leur dignité. Leur dignité a été volée et on leur en donne une autre en remplacement ; ce qui est un mensonge. Nous sommes dans un moment de grande détresse et où il y a des grands menteurs qui profitent de cette détresse. La première solution c’est de dénoncer le mensonge d’une part et d’autre part, rappeler à chaque fois ce que ces menteurs veulent nous faire croire. Nous sommes des êtres complexes et nous vivons dans une grande richesse et que la simplifier est un grand problème de mensonge. Dire que c’est tout blanc tout noir, dire ceci ou cela c’est un mensonge. C’est voler aux gens leur complexité, leur subtilité, leur richesse. Il n’y a pas de solutions mais il y a le rappel de cette tâche à chacun de nous dans sa vie quotidienne, dans ses métiers….
Interview réalisée par Masbé NDENGAR et Ada Valérie PENEE