Aicha Macky : « Je suis convaincue que l’art peut guérir des maux »
« Droit de vivre : luttons contre l’extrémisme violent », tel est le thème de la 12e édition du festival Ciné Droit Libre (CDL) qui s’est déroulé du 10 au 17 décembre 2016 à Ouagadougou. Plus de 30 films étaient au programme. Parmi ces films figure « l’arbre sans fruit » de la réalisatrice nigérienne Aicha Macky. Ce film aborde la problématique de l’infertilité des couples. L’histoire narrée par la réalisatrice est double. Elle raconte non seulement sa propre réalité mais rend un vibrant hommage à sa mère morte en donnant la vie. « Je suis morte deux fois : la mort physique, celle de ma mère, et la mort psychologique, celle de l’infertilité », a tristement laissé entendre la réalisatrice lors des échanges. Surnommée « briseuse de tabous » du fait de son franc parlé, c’est donc sans détour que Aicha Macky, lauréate du grand prix Sergio Vieira de Mello de CDL 2016, nous parle de son film et de sa vision du monde. Interview.
Vous êtes à la 12e édition du festival Ciné Droit Libre (CDL) qui est un festival de promotion des droits humains et de la liberté d’expression à travers le cinéma. Quelles sont vos impressions ?
Mon impression se situe au niveau de la programmation. J’ai regardé quelques films ici et ailleurs, mais la qualité de la programmation est assez importante. Les thématiques choisies par rapport à toutes ces questions de droits humains sont assez importantes. J’avoue que je suis touchée de la manière dont ‘’toutes ces anges gardiennes’’ sont là en compagnie de tous les invités. En plus, il y a un mixte entre tous les genres. Quand je vois les musiciens, les danseurs et les cinéastes qui sont là, c’est un choix à féliciter parce qu’à travers la musique et la danse on peut éveiller les esprits. J’ai beaucoup apprécié cette manière de faire avec l’animation au « village du festival », en parallèle avec des débats sociaux et politiques à caractères publics.
Dans une interview que vous accordée à nos confrères de Niger Inter, vous avez dit ceci : « Pour moi, il est temps de converger vers un cinéma qui instruit, inquiète, pour qu’enfin s’amorce un changement de mentalité ». On sait que votre pays fait face à l’extrémisme violent qui est par ailleurs le thème de ce festival alors que faut-il faire pour le changement de mentalité de la jeunesse nigérienne afin qu’elle ne devienne pas adepte des terroristes ?
Vous touchez du doigt un domaine dans lequel je travaille déjà : le domaine de l’extrémisme violent et de la transformation du conflit. Je suis volontaire au niveau d’un programme de volontaire des nations unies du nom de USAID. C’est une thématique qui est en plein cœur de ce que je fais et d’ailleurs la thématique prochaine de mon film porte sur cette question de l’extrémisme violent mais aussi par rapport à cette jeunesse qui est en déperdition et intolérante. Je suis actuellement en écriture pour ce film. Je pense que par rapport à la question de l’insécurité, il y a beaucoup de choses à faire parce que pour solutionner un problème il va falloir d’abord comprendre la racine dudit problème. Il faut donc chercher à comprendre pourquoi les jeunes sont de plus en plus violents.
A quand peut-on espérer voir ce nouveau film en salle ?
Je suis toujours en écriture donc je ne sais pas quand exactement. Quand il y a eu l’attaque du Bataclan à Paris, il y a des chefs d’États qui sont allés marcher. Il y en a eu également à Zinder, ma région natale où des églises, des écoles et des bibliothèques ont été brûlées donc j’ai envie d’y aller voir, en cherchant à comprendre ce qui n’a pas marché. Pourquoi cette violence ? Lorsque je prends le cas du Zinder, une ville dans laquelle je suis née, j’y ai grandi et étudié avec les enfants chrétiens mais il n’y a jamais eu de problèmes religieux dans cette région dont sa particularité c’est le métissage du fait qu’elle a été la première capitale du Niger. Voir aujourd’hui qu’en 2016 de telles questions surgissent alors j’ai envie de savoir si réellement il n’y a pas un conflit latent qui est là et autour duquel il n’y a pas de débat et qui risque d’exploser quelque part.
Je crois que l’État a beaucoup à faire en la matière. Si je prends le cas de Zinder, j’ai l’impression que l’État est en train de s’effacer carrément et fait place à un autre État qui se forme parce qu’il y a des jeunes qui se réclament d’un certain gang et qui exercent la violence au sus et vu de tous sans être inquiétés. Il faut aller voir toutes ces questions surtout que le Niger est mal entouré avec les pays comme la Libye, le Nigeria, le Tchad et le Mali. On est un noyau mal entouré et s’il y a des jeunes violents avec tous ces tentacules et des foyers de tension islamiques qui naissent partout, le risque est grand… on a des choses à faire pour drainer cette question de l’extrémisme violent pour amener les gens à comprendre.
Pour moi, la répréhension n’est pas une solution. La solution se trouve dans le dialogue. Et ce dialogue là le PDF l’avais compris en initiant le cinéma mobile, le théâtre participatif pour sensibiliser les gens à travers l’art, la musique, la danse, le cinéma… et c’est ce que le CDL est en train de faire. Ce qui fait que lorsque je suis arrivée ici, je me suis retrouvé dans mon milieu naturel parce que c’est ce travail que je fais depuis longtemps. Je suis convaincue que l’art peut guérir des maux. Un film, une musique, une danse changent nécessairement des mentalités. Ce que CDL est en train de faire en montrant des films crus de guerre et de tuerie c’est aussi une manière de sensibiliser parce que tant que les gens n’ont pas vécu une situation de guerre ou n’ont pas connu une situation déstabilisante ils ne peuvent jamais mesurer le prix de la paix. C’est à travers ces genres d’activités qu’on pourra amener les gens à comprendre l’importance de la paix dans un pays.
Votre film « l’arbre sans fruit » a été consacré meilleur documentaire africain de l’année 2016. C’est la qualité du film ou l’histoire touchant qui a été récompensée ?
Je pense qu’un film c’est un tout. Il y a la musique, la technique, le sujet traité…
On vous prête le surnom de « briseuse de tabous » du fait de votre franc parlé. Alors sans tabou, pourquoi avez-vous accepté personnellement de raconter votre histoire dans ce film ?
Il y a que moi qui puisse raconter le mieux mon histoire. Si je n’avais pas raconté mon propre histoire il n’était pas évident d’entendre tous les témoignages qui ont été racontés dans la salle. C’est un tabou qu’il faut briser en libérant la parole.
Vous accordez un point assez particulier aux conditions de vie de la femme nigérienne. Que faites-vous concrètement, en plus du cinéma pour l’amélioration des conditions de vie de la femme dans votre pays ?
En plus d’être activiste, je suis cinéaste et je raconte le vécu quotidien de ces femmes par l’image. Cela peut permettre aux décideurs de se pencher sur les conditions de vie de ces femmes qui souffrent.
Les enseignants ont entamé une grève de 3 jours à partir du 7 novembre 2016 pour exiger le paiement de leurs arriérés de salaires de 4 mois. Certains parlent même d’un risque d’année blanche si rien n’est fait. N’est-ce pas un paradoxe pour un pays producteur d’uranium ?
Réclamer les arriérés de salaire dans un pays producteur d’uranium comme le Niger est tout simplement une situation pathétique. Je souhaite que l’État revoie sa politique. Personnellement, je suis chagrinée de voir tout le fond politique alloué aux politiciens, tous les gros salaires qu’ils sont en train de toucher, tout le luxe que leur offre l’État alors que c’est nous le peuple qui les avons amené là où ils sont. Malgré tout ça si le salaire des enseignants n’est pas versé alors je ne comprends plus rien. Comment peut-on allouer des fonds politiques pour grossir le nombre des membres du gouvernement alors qu’on a un problème crucial qui est l’éducation. Il faut réduire le nombre pléthorique des membres du gouvernement. Un conseiller qui n’est pas en mesure de donner des conseils qu’il faut alors celui-là ne vaut pas la peine. C’est quelqu’un qui est là pour manger sur le dos de l’État. Il bénéficie d’un certain nombre de prérogatives parce qu’il est d’un bord politique tout en oubliant le peuple qui l’a mis là-bas.
Interview réalisée par Masbé NDENGAR