Musée Da Silva – L’histoire au bout du marbre
On ne se souvient pas de l’histoire, c’est elle qui se souvient de nous. Elle nous enchante. Nous contamine. Nous agrippe. Nous lie à elle, au point de faire de nous, son armure. On ne se souvient plus d’avoir été ou d’espérer devenir ; l’on devient, l’on est, et l’on naît. L’histoire, ce n’est pas les nombreuses feuilles que l’école lègue. L’histoire, ce n’est pas non plus, les interminables lignes, parfois rafistolées que l’on nous oblige à réciter. L’histoire c’est le soi-même revisité. L’histoire, c’est le collectif transfiguré mais endossé. L’histoire, c’est le marbre conservant maints parcours oubliables.
C’est en cela que le musée Da Silva initie. C’est en cela qu’il crée, façonne, fascine, et recrée l’imaginaire impalpable que l’on a pu se faire d’un passé qu’on a. C’est en cela, que le musée Da Silva est une mémoire. Parce qu’il conserve. Parce qu’il réserve. Parce qu’il s’ouvre. Et s’ouvrant sur un mur à esclaves, il relate et rappelle aussi. Il rappelle la raison-turbine de son initiateur et relate en des mottes de sculptures, toutes les douleurs cinglantes qu’ont vaincues les nombreuses âmes africaines déportées. Le mur d’entrée est en la matière, un panorama restreint de ce que l’intérieur respire. C’est aussi une sorte de mise en garde avisée, comme pour signifier : « N’entre ici, qui n’est résistant ». Et c’est justement la résistance ce mur. La résistance d’un homme Da Silva, refusant l’effacement pour tenir tête à l’avenir. Résistance de toutes ces vies écorchées, muselées, hachées, hachurées, flagellées, fracassées, froissées, fissurées, mais résistantes. D’ailleurs quand on y entre, l’histoire résiste aussi à nos yeux.
Le musée Da Silva s’élève sur les débuts de notre Capitale (Porto-Novo), avec une architecture typique des vestiges qu’il porte en son sein. En traversant une cour principale, qui donne à voir le contraste entre l’archétype de l’église Bom Jesus de Matasinhos et la Mosquée centrale de la ville, l’on prend conscience de la confrontation historique à laquelle nous convie les lieux. Sinon, quelle réaction avoir quand on découvre que la Mosquée la plus éminente de Porto-Novo, la plus visitée, est construite selon le modèle précis d’une des plus symboliques églises du monde noir ? Quelle réaction, surtout lorsqu’on constate que, malgré la paix apparente qui siège, des conflits interreligieux se murmurent quotidiennement dans les environs ? Boko Haram, étant d’ailleurs à quelques lisières de la ville aux trois patronymes.
Mais voilà ! Peu de temps pour creuser l’abcès, car près de douze salles attendent d’être questionnées elles aussi. D’ailleurs quand on marche encore, et qu’à ses alentours, des voitures de collection, empiriques, classiques mais élégantes attisent le regard, le goût de la quête prend le dessus, et l’on est obligé de monter les escaliers pour s’enrichir d’autres effusions. De l’abrasif à renifler dans certaines pièces, pendant que d’autres appellent à lire, à retenir des noms, à prendre des notes, à ressentir, à admirer les anciennes organisations de nos sociétés humaines et familiales. Des mythiques voire inédites photos du Bénin, d’Afrique ; de nos pères aux historiques objets d’art de notre culture, de nos cultures ; le musée Da Silva s’impose comme un inépuisable Griot conteur de nos gloires passées et prophète de nos futures victoires. Attenant donc à ce « Griot », se trouve un autre bâtiment, qui allie modernité et histoire, qui jongle entre espoir et pouvoir : Le Panthéon Négro-Africain ! De Toussaint Louverture à Hassan II en passant par Kadhafi et Mohammed Ali, ce bâtiment connexe qui se veut comptoir d’espérance retrace les figures historiques incontournables de la lutte pour l’Africanité et l’Afrique. « On n’entre pas ici vivant » nous fit la guide, un rien ironique. Et elle avait bien raison : Le dernier à y entrer fut Nelson Mandela, le patriarche de la lutte anti-apartheid.
Mais le plus vivant d’entre nous tous, demeure le fondateur de ces fiertés béninoises : M. Urbain Karim Elisio Da Silva. Nous étions partis pour rencontrer le directeur d’un musée, et d’un panthéon, mais nous nous sommes retrouvés face à face avec l’histoire.
Et bien que le temps passe, Karim Da Silva reste pour conter son temps et ses mélopées. De la France à Cotonou, en passant par Lagos et le monde, il a parcouru l’histoire, a fait et fait l’histoire. Celui qui aurait dû être un brillant magistrat a fini imprimeur puis façonneur de gloire. Panafricaniste endurci, aux positions bien tranchées, M. Da Silva n’a pas laissé le temps lui faire oublier l’affront de l’esclavage et de la colonisation. Celui qui a défendu l’Afrique contre Charles de Gaulle et ses essais nucléaires dans le Sahara, ne s’embarrasse pas de tournures fourbes quand il faut s’indigner des travers de l’ex-président français Sarkozy. « C’est l’hypocrisie de l’occident qui bouleverse le monde ! » fit-il pour conclure à ses propos sur l’importance de séparer religion et politique panafricaniste. « Etre noir, ce n’est pas que la couleur de peau. Je suis noir, et j’ai appris à faire avec », reprit-il un moment après avoir fait une analyse du rapport Afrique-Occident qui portait les traces des idées de Frantz Fanon.
Karim Da Silva n’a peur de rien du tout, mais il a surtout foi en l’avenir, lui qui a construit de ses propres mains L’arbre de la liberté. « Nous allons naître ! Les Africains sont faits de racines plus fortes ! Elles se plient tels des roseaux, elles ne se rompent pas». Mais au-delà de ces mots, l’espoir qu’il a personnifié par l’Arbre de la liberté trône au milieu du Panthéon narguant toute velléité de déception : « Voici l’arbre de la liberté, ta liberté ! Travaille avec obstination, lutte héroïquement, avance avec lucidité, assurance et intrépidité. (…) ».
Cependant, Karim Da Silva ne put s’empêcher de louer Toussaint Louverture et son légendaire héritage verbal pour les générations africaines à venir : « En m’abattant, vous avez seulement abattu le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs. Il repoussera par les racines car elles sont profondes et nombreuses… »
Alors, si un jour, il vous prend l’envie de vous découvrir et de plonger dans votre soi…vous savez vers quelles cimes vous tourner. Le Musée Da Silva, vous complétera !
Par Djamile Mama Gao pour Droit Libre TV
Avec la participation de Marie-Madeleine AKROTA