En Afrique de l’Ouest, conflits et menaces terroristes fragilisent la presse
L’engagement au service de la liberté d’information implique de prendre des risques nouveaux et difficilement calculables, dans des conflits dont les paramètres ont changé. Les chutes très lourdes du Mali et de la République centrafricaine dans le classement illustrent cette corrélation négative entre conflit et liberté d’information.
L’information et son contrôle ont bien sûr toujours été des enjeux stratégiques. Les putschistes du capitaine Sanogo à Bamako n’ont-ils pas eu pour première action de prendre possession de l’Office de la radiotélévision malienne ?
L’arrivée des nouvelles technologies a permis à l’information de « s’échapper » des organes traditionnels tels que la presse ou la radio, multipliant le nombre et le type d’acteurs de l’information sur le terrain. Les conflits sur le continent africain se sont également diffractés. Ils ne se limitent plus à un affrontement entre deux armées mais prennent la forme de conflits infra-étatiques ou de guerre dite « asymétrique » où des groupuscules s’opposent à des armées (plus ou moins) constituées, ou à d’autres groupuscules. En parallèle, la menace terroriste croît du fait de groupes aux revendications politiques, certains instrumentalisant les conflits pour en retirer un gain économique, comme en témoignent les guerres intestines pour le contrôle des gisements miniers à l’est de la République démocratique du Congo.
Ces dangers diffus impactent la circulation de l’information. En raison de l’insécurité, les journalistes sont confrontés à des difficultés croissantes pour accéder au terrain des opérations. Ainsi, au moment de l’opération Serval au Mali, plusieurs reporters ont choisi d’embarquer à bord de convois militaires se rendant sur la ligne de front afin de ne pas laisser la communication sur cette guerre à la seule armée française. Reste que ces conditions particulières de reportage donnent alors une couverture partielle des événements sur le terrain, depuis un point de vue spécifique.
Les nouveaux acteurs des conflits, notamment les groupes terroristes, ne se sentent pas tenus par les conventions de Genève protégeant les civils, dont les journalistes, en temps de conflit. Au contraire, dans un contexte de « guerre de l’information », ces derniers sont devenus des cibles privilégiées.
Ainsi, le groupe terroriste islamique Al-Shabaab qui sévit en Somalie n’a cessé de s’en prendre à ces témoins gênants. Dans ce pays d’Afrique le plus meurtrier pour les journalistes, sept d’entre eux ont perdu la vie depuis le début 2013. En 2012, dix-huit sont morts au cours d’attaques terroristes. La menace à Mogadiscio est telle que certains médias en sont venus à loger leurs journalistes dans leurs locaux afin de leur éviter de circuler en ville. N’est-ce pas une opération de terreur réussie lorsque les journalistes ne peuvent même plus aller librement au contact de l’information ?
Autre caractéristique de ces guérillas : elles ne se résolvent pas. Les cessez-le-feu ne sont pas signés ou pas respectés. S’installent alors durablement des situations de non-droit, où des groupes variés alternent au pouvoir. Dans la mesure où la « guerre » n’est pas résolue, le contrôle des médias continue d’être un objectif stratégique. La liberté de l’information paie alors le prix fort.
Depuis sa prise, à l’hiver 2012, de certains territoires du Nord-Kivu en République démocratique du Congo, le groupe armé M23 a imposé une relecture de tous les journaux avant leur diffusion, menaçant de mort les directeurs de radio qui publiaient des informations allant à leur encontre.
Cette instabilité constante crée un pouvoir fragilisé, se sentant facilement menacé. La situation en Centrafrique en novembre en constitue un exemple flagrant. Les anciens putschistes tentent une normalisation alors que les hommes de la coalition qui les a portés au pouvoir, la Séléka, ne désarment pas, et que les soutiens à l’ancien président Bozizé ont pris les armes. À Bangui, un général à la tête de la puissante police politique du pouvoir a personnellement interrogé et menacé un journaliste pour un article évoquant un remaniement ministériel.
Cet acharnement témoigne néanmoins de l’immense contre-pouvoir que les journalistes continuent à incarner. Ils donnent à voir et à entendre, ils ordonnent des bribes d’information pour créer un sens accessible à tous et conservent toute leur importance, en temps de guerre plus que jamais.
Article initialement publié sur le site de Reporter sans frontière