« Les nouvelles technologies ont un impact sur la société et sur les médias » (Souleymane Gassama)
D’origine sénégalaise, né en 1988 à Saint-Louis du Sénégal, El Hadj Souleymane Gassama (Elgas) est journaliste, écrivain et docteur en Sociologie de l’Université de Caen en Normandie. Diplômé de Communication option Journalisme et de Sciences politiques, ses travaux de thèse portaient sur le don en Afrique. Il contribue régulièrement dans différents journaux et Think-Tank. Il est l’auteur du livre pamphlétaire « Un Dieu et des mœurs », publié aux éditions Présence Africaine, et de différentes chroniques et articles dans divers journaux. Il nous livre ici ses réflexions sur les métiers du journalisme et de la presse face à la montée en puissance des nouvelles technologies. Interview.
Quelles sont les conséquences du développement des nouveaux supports numériques sur les médias, en particulier, sur celui de la presse écrite ?
À chaque fois qu’il y’a des transformations technologiques, elles ont un impact considérable à la fois sur la société et les médias. Quand l’imprimante arrive on démocratise un peu la quantité et même la qualité de la lecture d’énormément de personnes. Quand l’ordinateur arrive, le journaliste ne travaille plus dans une antichambre, il a accès à travers internet. En fait, la diffusion centrale qui est le grand casting comme on le dit a été changée pour du podcasting. Les gens ne sont plus obligés d’ être devant une télé pour attendre des émissions car on peut les trouver à tout moment en ligne. C’est ce qui est arrivé avec la presse écrite, aujourd’hui. En un clic on peut trouver un papier d’un journaliste sur la toile. C’est cette dématérialisation importante et puis maintenant tout le monde peut être producteur d’information. Production d’information c’est-à-dire avec les blogs, on peut écrire et lire une information. Les journalistes ont des comptes sur les réseaux sociaux, des gens qui ne sont pas des journalistes ont des comptes. L’étude journalistique, la qualité de l’enquête, la conscience personnelle de naviguer dans toute cette forêt est quelque chose de très important dans le travail. C’est ça qui est important dans la mesure où c’est un écosystème absolument reformaté. Avant, la relation entre le lecteur et le vendeur ou le producteur d’information se faisait dans un kiosque. Si c’était de l’audiovisuel, il ouvrait un poste de télé ou un poste de radio. Mais maintenant avec internet il peut tout avoir sur son téléphone et sur son ordinateur. Cet écosystème-là agit sur le commerce forcément avec la disparition des médias d’ailleurs traditionnels parce que la concurrence est rude. Avant, on avait vu que l’internet favorisait la gratuité mais des médias comme Médiapart, maintenant, changent la donne en proposant des abonnements et ils ont été suivis par beaucoup de journaux. C’est la mode la mode. L’information se paie parce que les gens cherchent une information de qualité et les journalistes, il faut qu’ils vivent, il faut qu’ils travaillent, il faut qu’ils essaient de gagner leur vie à travers ce qu’ils font. Toutes ces transformations médiatiques-là ont un impact sur la finance et la manière de travailler. Avant, les journalistes faisaient des enquêtes et ils avaient besoin des fiches comptables peut-être pour avoir des photos, avoir des textes, avoir des journaux intimes. Tout ce qui peut constituer une preuve. Mais maintenant, il peut ajouter des captures, des discussions sur des téléphones, sur WhatsApp. Tout cet écosystème-là a été permis par l’arrivée des nouvelles technologies et qui promettent de continuer à évoluer avec l’intelligence artificielle. L’idée centrale qu’il faut absolument retenir c’est que le métier de journalisme garde l’instinct de formation primaire et puis le travail de rigueur et de vérification. Le médium est le message quand le médium touche un message, il a la capacité un peu de rechanger. Avant, l’information prenait du temps pour arriver à destination, maintenant, elle se fait en un clic. Ça change forcément la donne. Ce qui s’observe à la télé, s’observe également à la radio et dans la presse écrite, qui est d’ailleurs menacées de disparation. Les journaux historiques en France comme Libération sont maintenant sous perfusion. Les gens cherchent maintenant l’information sur internet et le contre coup c’est que l’information n’est plus trop vérifiée. Elle est immédiate. Donc il faut insister sur la notion d’écosystème, l’écosystème nouveau c’est des acteurs nouveaux, des activités nouvelles, des tendances nouvelles et un marché nouveau.
L’essor de ces nouveaux supports numériques remet-il en question la presse écrite ?
Non, je ne crois, Je suis optimiste que pessimiste. Les gens cherchent la qualité, ils cherchent du journalisme de qualité, ils cherchent des enquêtes, ils cherchent des gens qui leurs produisent de la matière grise. L’impact c’est surtout dans la manière de penser, la manière de percevoir les choses, les réseaux sociaux changent la donne, le podcasting et puis le temps différé de l’actualité changent la donne. Mais, est-ce que ça menace le journalisme ? je ne crois pas. Je crois que le journalisme est assez solide pour résister à tout ça. Ce qui peut menacer le journalisme ce sont les dictateurs, la médiocrité de certains journalistes, ceux qui veulent réduire la liberté de la presse. Je pense qu’il y a une baisse de la qualité dans le journalisme et il faudrait faire un travail empirique pour voir ou se situe le problème. Mais moi, mon sentiment personnel, c’est qu’avant dans les éditoriaux, avant dans les enquêtes écrites il y avait à la fois une exigence de langue, de qualité, il y avait aussi une exigence de rigueur des rédactions. Il y a même maintenant des médias comme Brut, AJ+ qui sont uniquement sur les réseaux sociaux. Ils inventent la pratique journalistique avec des recettes qui sont parfois contestables mais nous sommes dans un monde libre. Il faut absolument accepter que les gens puissent avoir en termes d’offres journalistiques des préférences. Il y a des gens qui ont eu envie d’avoir des journaux papier, il y a d’autres qui vont lire sur internet et la cohabitation est possible. Du coup, pour voir si l’impact sera négatif ou pas, il faudra le demander aux lecteurs. Mais mon sentiment est que le journalisme résistera parce que le journalisme fait partie du quatrième pouvoir, de la presse et que jusqu’à présent et durant plusieurs siècles les gens ont surtout montré qu’ils avaient envie de s’informer et s’informer c’est un droit. Le droit résistera aux innovations technologiques in fine à l’avènement du numérique.
En tant que journaliste mais aussi Sociologue, pensez-vous
que les nouvelles pratiques employées dans le journalisme 2.0
influent-elles sur nos modes de pensées ?
Oui. Je reviens à la notion d’écosystème. L’homme est impacté par l’environnement dans lequel il vit. Les manières ne sont pas les mêmes c’est-à-dire le secret de l’information, voilà la quête du graal, n’est pas la même chose comme quand on est sur un blog, sur les réseaux sociaux. Mais fondamentalement, il y a des choses qui changent, il y a des tendances lourdes et ces tendances lourdes là nous enseignent quelque chose d’assez primordial. Je dirai que les gens restent fondamentalement les mêmes dans leur forme, dans leur adhésion qu’elle soit spirituelle, religieuse, culturelle. C’est leur identité. Et les éléments nouveaux sont un peu des habits changeants, la manière de t’habiller va définir aussi une partie de ta personnalité. Donc voilà ça va agir naturellement sur nos modes de pensées. Il y a des consciences de classe, il y a des consciences identitaires qui sont peut-être beaucoup plus fortes parce que les gens se retrouvent à travers les réseaux sociaux très souvent à travers des retweets, des likes … Tout ce qui est débat constructif n’est pas tellement possible. Les gens préfèrent les débats de tranchées pour être considéré comme héros, leader d’une cause par rapport à d’autres qui ne le seraient pas. Donc il n y a pas forcément de dialogue. L’illusion de partage qu’on a sur les nouveaux supports numériques parfois est très trompeuse parce qu’elle fait croire à l’existence d’un vaste ensemble qui communique alors qu’on reste fondamentalement dans des paysages très éclatés et très morcelés. Donc les modes de pensée sont encore une fois touchées par ce phénomène-là. Mais dans quelle mesure, c’est-à-dire qu’il faut toujours évaluer le degré, et là pour le coup le sociologue que je suis est prudent.
Interview réalisée par Birane DIOP, étudiant en Master Stratégies informationnelles et documents numériques à l’Université Jean Moulin Lyon 3