Comprendre le paradoxe de la révolution numérique au Sahel
Le tout premier circuit intégré a été inventé en 1958.
ARPAnet (Advanced Research Projects Agency Network), l’ancêtre
d’internet, a pris forme en 1969. En 1971, l’invention du
microprocesseur et la mise en réseau de plusieurs ordinateurs personnels
viennent définitivement sonner le début d’une ère nouvelles remplie de
promesses. Entre espérance et fascination, cette ère numérique porte
malgré elle des défis qui semblent mal compris ou en tout cas
insuffisants pour beaucoup.
Dans ce billet, je voudrais tenter de comprendre avec vous un certain nombre de questions. Il est indéniable que les technologies numériques ont permis de rapprocher nos humanités, cependant, sur le plan économique le portrait semble moins reluisant. En effet, un certain nombre de penseurs économiques croient que cette richesse produite par les GAFAM et autres géants du secteur ne répondent pas à ce critère d’universalité et de partage ayant largement facilité leurs acceptations.
“Le smartphone n’aura pas sur nos vies le même impact qu’a eu la machine à laver”, Robert Gordon.
Dans un monde en proie aux inégalités, on se demande bien où est passée toute cette croissance qu’est censée apporter cette troisième révolution industrielle. Le bouleversement tant attendu semble suspendu dans les nuages, presque inatteignable, égaré quelque part dans un serveur lointain.
Au Niger, le leapfrog en quête de résultat
Dans le Sahel, et de manière générale sur le continent, bon nombre de spécialistes s’extasient devant le formidable potentiel de développement que va bientôt insuffler l’économie numérique sur place. Les pays pauvres n’ont même plus besoin de rattraper leurs retards technologiques, notamment grâce aux vertus de ce qu’on appelle désormais le leapfrog. C’est-à-dire cette capacité à innover malgré le fait de sauter certaines étapes dans le processus de développement. Par exemple, en Afrique subsaharienne, on a d’abord eu accès aux téléphones mobiles bien avant l’ordinateur, ce qui a permis d’inventer le paiement sur mobile.
Il est clair qu’avoir un regard rétroactif sur un ensemble d’évènements permettra de construire une meilleure réponse dans le temps. Cependant, si le leapfrog a permis la conception d’une approche de paiement électronique adaptée au contexte africain, force est de constater que sauter des étapes peut aussi s’avérer extrêmement handicapant. Par exemple, le fait que le continent ne s’est pas doté d’une infrastructure numérique solide a impliqué le développement de l’internet mobile. Ce qui est une bonne chose en soi, sauf que cet accès internet mobile reste l’un des plus onéreux du monde alors même qu’il est destiné aux populations les plus pauvres de la planète.
Je crois qu’une révolution trop lente peut rendre caduque certains avantages du leapfrog, surtout lorsqu’une partie des acteurs impliqués dans ce processus ne réagissent pas avec la même vigueur. Au Niger, le paiement mobile existe également. Cependant, le leapfrog ne semble pas effectif puisqu’il n’arrive pas à composer avec les entreprises publiques. Par exemple, la Société nigérienne de l’électricité, à l’instar de beaucoup d’autres entreprises (publiques ou privées), ne parvient toujours pas à implémenter le paiement mobile comme un mode fiable de règlement de factures. La confiance a été rompue lorsque plusieurs clients ont perdu des sommes d’argent conséquentes alors qu’ils s’étaient laissés séduire par cette nouvelle manière de payer.
“L’échec d’un certain nombre de projets montre que connaître l’existence d’une technologie est une condition nécessaire mais pas suffisante de son adoption. ” (Jacques Giri, Le Sahel au XXIe siècle,1989).
Évidemment, il est intéressant de savoir que les technologies numériques vont permettre un essor économique en Afrique. Mais je crois qu’il serait aussi intéressant d’en connaître les secteurs économiques qui vont générer cette croissance et la manière dont celle-ci sera répartie sur l’ensemble des couches sociales. Car pour le moment, l’Afrique reste largement consommatrice de technologies qu’elle ne produit pas, une situation bien connue des produits manufacturés.
Une ère numérique entre montée des inégalités et des extrêmes
“On voit les ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité”, déclarait Robert Solow en 1987, Prix Nobel d’économie.
Aujourd’hui, nous pouvons dire que cela fait plusieurs décennies que la locomotive numérique avance à coup de progrès et d’innovation dans le monde, et en Afrique depuis l’arrivée du téléphone mobile. Pourtant, le contraste entre les promesses annoncées depuis des années à propos de ces révolutions technologiques et la réalité aujourd’hui reste assez saisissant. La pauvreté a reculé partout sauf en Afrique.
En Europe, également, c’est la montée des partis d’extrême droite, de l’Italie à l’Allemagne en passant par la Hongrie. Il y a également les contestations sociales comme le Brexit au Royaume-Uni ou le récent mouvement des Gilets jaunes en France. Tous ces évènements sont en fait la conséquence d’échecs répétés, sur plusieurs décennies, en matière de décisions politiques et économiques sur beaucoup de secteurs de développement, dont le numérique. Aujourd’hui, la situation économique de beaucoup de personnes, même dans les pays développés, ressemble beaucoup plus à un appauvrissement alors même que les dividendes n’ont jamais été aussi importants.
Aux États-Unis, pays pionnier des nouvelles technologies, de 1993 à 2011 les revenus de 99% des Américains n’ont pas bougé. L’élection de Donald Trump peut être interprétée comme un signal de détresse envoyé par ces millions de personnes qui gagnent désormais moins que leurs parents. Dans les années 80, ces mêmes technologies n’ont pas permis de porter le Japon à la première place de l’économie mondiale, comme le présageait une grande partie de la littérature économique de l’époque, et ce malgré le miracle économique de l’après-guerre. D’ailleurs, dans cette même période, plusieurs crises se sont succédées, enterrant d’un coup les velléités du pays du soleil levant.
“ Les 1 % les plus riches empochent 82 % des richesses créées en 2018, la moitié la plus pauvre de l’humanité n’en voit pas une miette.” – Oxfam.
Un techno-optimisme africain disproportionné ?
Souvent, j’ai l’impression que l’on est très « techno-optimiste » dans le Sahel, comme si l’innovation allait d’un coup permettre de correctement redistribuer l’hypothétique croissance qui en découlera. C’est vrai que le numérique, je pense, apporte d’autres possibilités que les programmes de développement passés n’ont pas permises. Cependant, si l’on souhaite avoir une vision pertinente, il faudrait privilégier une approche multidisciplinaire, puisque ces technologies vont devoir composer dans un environnement politique et socio-économique imprévisible.
D’ailleurs, même les penseurs les plus optimistes sur ces questions sont d’accord pour dire que, si jusqu’ici les technologies numériques n’ont pas tenues toutes leurs promesses, c’est parce que le meilleur reste à venir. C’est notamment le postulat avancé par Raymond Kurzweil dans son ouvrage « The Singularity Is Near », pour qui ces technologies vont fondamentalement changer nos vies grâce à l’internet des objets, c’est-à-dire cette capacité qu’ont les machines à s’interconnecter entre elles, augmentant de fait leur puissance de calcul. Ce moment venu, il serait intéressant de constater la forme que prendra le leapfrog si d’aventure l’Afrique n’arrivait pas à se doter d’une infrastructure numérique conséquente.
Cependant, les grandes innovations ne sont-elles pas déjà derrière nous ? C’est ce que soutient l’économiste américain Robert Gordon, dans son ouvrage « The Rise and Fall of American Growth » publié en 2016. Pour lui, la révolution numérique n’impacte pas grand monde puisque de toute façon ces technologies ne concernent, pour l’essentiel, que les domaines de la communication et du divertissement. Hors, ces derniers ne représentent qu’une toute petite partie de l’économie mondiale alors même que le taux d’équipement en smartphone est déjà à 100 % dans beaucoup de pays.
Le techno-optimisme africain est également compromis par la mainmise de plus en plus importante des chinois qui soufflent un vent contraire sur les valeurs de liberté et de démocratie à coup de censure ou de blocage des contenus web. Aujourd’hui, la Chine intervient tant sur l’aspect légal d’internet en Afrique que sur la fourniture de supports et d’infrastructures numériques. Dans la vidéo suivante, on peut imaginer tout ce que cela pourrait avoir comme conséquence sur le continent à propos du développement des droits humains.
Yacouba Moumouni dit Denké Denké, flûtiste et musicien, fait aujourd’hui la fierté de la musique nigérienne et Africaine. Lui et son groupe Mamar Kassey, ont joué dans les plus grandes salles et festivals du monde. Mais, rien ne le prédestinait à une si brillante carrière. N’ayant pas été à l’école, très jeune, il a exercé en qualité de boy chez la chanteuse Absatou Danté. C’est elle qui va l’enseigner la musique.
A force de persévérance, Yacouba Moumouni va fonder le groupe Mamar Kassey en 1995. Deux ans plus tard, en 1997, le Burkina Faso l’accueille avec son groupe aux Nuits Atypiques de Koudougou (NAK) ou il fait la rencontre de deux producteurs. Ce fut le déclic et depuis lors, Mamar Kassey va de succès en succès.
Près de 25 ans après ses débuts difficiles, nous avons rencontré Yacouba Moumouni. L’employé de maison est devenu artiste de renommée mondiale.